Avocats : faut-il exercer un métier passion?

par | 26 Juin, 2024 | 0 commentaires

Une cliente me disait récemment : “Je n’ai pas beaucoup dormi ces dernières semaines. En même temps, mon cabinet prospère et je m’amuse avec les clients, je suis très heureuse de ce qui m’arrive ! C’est le prix à payer quand on exerce un métier passion.

Qu’est-ce qui rend la profession d’avocat si captivante ? Jusqu’où cette passion peut-elle mener, et qu’est-ce qu’elle amène, parfois, à sacrifier ? Je vous parle des conséquences du “métier passion” chez les avocat.e.s. Ou comment vous ne pourrez aider vos clients qu’en vous aidant vous-même.


Pourquoi c’est fascinant d’être avocat.e ?

    En explorant ce sujet, j’ai souvent lu que le mot “travail” viendrait de tripalium, un instrument de torture en latin.

    Bien que cette étymologie ne soit pas confirmée, dans l’imaginaire collectif, le travail est souvent associé à la souffrance, à l’inconfort ou à l’ennui.

    Je ne sais pas exactement d’où vient cette idée. Dans la Bible, le châtiment d’Adam et Eve pour avoir mangé le fruit défendu, c’est de devoir travailler pour se nourrir. Avant cela, dès Platon, travailler, c’est transformer la nature, s’opposer à un monde hostile, difficile et dangereux pour en tirer les fruits de la survie et de l’accomplissement.

    Quant il s’agit du métier d’avocat, en revanche, rares sont ceux qui mettent en avant la souffrance, l’inconfort ou l’ennui. On parle davantage de vocation, de passion, de dévouement. Et cela remonte à Platon. À son époque et pendant des siècles, le droit n’était pas un travail. C’était une passion noble exercée par les intellectuels et les philosophes en quête de stimulation intellectuelle et de statut social. Je pense que cette image a laissé sa marque dans l’Histoire, et influence encore notre vision contemporaine du métier d’avocat.

    Ça papote tranquillou de philo et de droit à l’Ecole d’Athènes (Raphaël, 1508-1512)

    Il suffit de parler à quelques avocat.e.s pour s’en rendre compte : ce métier est principalement choisi. Il passionne, stimule, élève. Marion, une avocate exceptionnelle qui accompagne les dirigeants et services RH avec le droit du travail en parle très bien dans un post LinkedIn :

    La défense des droits est une mission qui m’anime depuis 10 ans, et chaque dossier, chaque rencontre est une opportunité de faire une réelle différence dans la vie de nos clients. […] La relation que j’entretiens avec mes clients est au cœur de ma pratique. Je suis là pour les soutenir à chaque étape de la procédure, pour les conseiller, les représenter et les défendre avec diligence et engagement. […] Le droit du travail est un domaine qui m’a captivée depuis mes débuts, et il continue de me surprendre par sa diversité et sa complexité. Chaque jour est une nouvelle opportunité d’apprendre et de grandir en tant qu’avocat.

    Lire le post de Marion

    Son métier n’est certainement pas sa seule passion, mais il est clair qu’elle est passionnée, et on comprend bien pourquoi. Quand Marion travaille, elle est animée, engagée, captivée, surprise. Elle apprend, elle grandit.

    « Choisissez un travail que vous aimez et vous n’aurez pas à travailler un seul jour de votre vie« , qu’il disait, Confucius.


    Pourquoi cela peut-il poser problème ?

      Je n’oublie pas que beaucoup de personnes exercent des métiers qu’ils détestent dans des conditions difficiles. Mon propos n’est pas de créer une échelle de valeurs avec ce qui n’est pas comparable.

      En revanche, il faut le dire, exercer un métier passion peut rendre malheureux.

      Parce que dans sa version la plus pure, la passion ne connaît pas de limite. Selon le Larousse, c’est un “état affectif intense et irraisonné qui domine quelqu’un”. Si on n’y prend pas garde, un métier passion peut finir par nous dominer. Nous faire supporter des horaires impossibles et des conditions difficiles, parce que ce qu’on fait est stimulant. Surtout si c’est un métier qui aide les gens.

      L’amour du métier et le sentiment d’être utile augmentent sensiblement le seuil de tolérance aux conditions de travail difficile.

      L’avocat.e accompagne souvent un client qui a besoin de lui et qui le (sur)sollicite. Comment lui dire non, alors qu’il est en difficulté, et qu’on peut l’aider simplement en faisant ce qu’on adore ?

      En plus, quand on est avocat.e, on appartient à un corps de professionnels qui portent la même robe. Et il est normal d’être surchargé et d’exercer dans des conditions difficiles. La norme sociale encourage le dépassement des limites.

      Ajoutez à cela la pression administrative, le statut précaire de collaborateur ou la peur de ne pas avoir de clients et vous pourriez bien travailler absolument tous les jours de votre vie.

      Anne-Claire Genthalion en parle très bien dans son livre. Si la passion prend toute la place, elle finit par être destructrice. Parce qu’à vivre trop fort dans sa passion, on finit par penser que c’est elle – donc le travail – qui donne un sens à la vie.

      Le risque, c’est l’épuisement. Le burn-out bien sûr. Mais aussi l’épuisement de la passion qui s’étiole avec les années, jusqu’à devenir de la souffrance, de l’inconfort, de l’ennui.

      Une cliente en bilan de compétences m’avouait récemment que le métier d’avocate qu’elle avait tant convoité l’a tellement épuisée qu’elle le voit désormais comme un métier alimentaire qu’elle a hâte de quitter. En plus, ça la fait culpabiliser. Ben oui, qu’est-ce qu’elle a à se plaindre alors qu’elle a tout ce dont elle avait rêvé ?

      « Choisissez un travail que vous aimez…« 


      Calmer ses ardeurs

        Le problème n’est pas la passion. Quoi de plus satisfaisant que d’être payé pour réfléchir, apprendre, aider, être stimulé, grandir ?

        Le problème, c’est qu’on a tous intériorisé que pour vivre de sa passion, c’est normal d’en baver. De travailler tard et beaucoup, d’avoir des conditions difficiles et de les accepter sans se plaindre. Comme si le privilège d’exercer un métier intéressant devait se payer au prix fort. Des heures de dur labeur pour quelques minutes de plaisir.

        Cette idée reçue détruit plus qu’elle ne sert les avocat.e.s aujourd’hui. Et ce quel que soit le statut.

        Car si l’on garde cette vision du métier passion, il ne nous reste que deux options, qui sont d’ailleurs cumulatives :

        travailler sans limite,
        
        culpabiliser de ne pas faire plus.

        La solution ?

        Accepter que travailler de sa passion puisse être simplement facile et agréable.

        Je ne parle pas ici d’aimer 100% des tâches de son métier, car beaucoup sont fastidieuses et obligatoires. Je parle de s’autoriser à se laisser guider d’abord par la joie et le plaisir que l’exercice de son métier peut procurer.

        Votre ressenti est le porte-parole de vos limites. C’est ce que vous avez dans vos tripes, qui vous dit si travailler ce week-end, prendre ce nouveau dossier, rappeler ce client à 21h, est une bonne ou une mauvaise idée.

        Apprendre à l’écouter, c’est la meilleure manière de calmer les ardeurs de son métier passion.

        Accessoirement, laisser la place au ressenti permet aussi de mieux en profiter lorsqu’on est en train de travailler. Avant une plaidoirie importante, j’ai souhaité à un de mes clients passionné de prendre du plaisir. Il est resté bouche-bée et m’a répondu “tu as raison, mais ça fait des années que je n’y avais plus pensé”.

        Alors, comment on fait ?

          Vous dire qu’il faut accepter que ce soit facile et agréable, c’est bien beau. Mais comment faire concrètement, car nous avons très souvent appris à faire tout l’inverse : foncer tête baissée jusqu’à ce que la to do soit terminée (spoiler alert : c’est impossible).

          Au quotidien ça passe par plein de petites actions, je vous laisse les lire dans l’édition complète de ma newsletter disponible ici.

          A très vite !

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